Mon Scepticisme

Par Laurie

Il y a quelques années, avant l’ère de désespoir de la covid-19 défiant toute interaction sociale – et on le comprend assurément – je scrutais attentivement le moindre événement en relation avec le sujet que j’étudiais alors en première année de master 1 en sociologie dans le but de m’y rendre : auteurs, conférences, livres, articles et surtout terrains. Je buvais les parole de Bernard Stiegler maintenant décédé, je me délectais du savoir de Dominique Cardon, entre fascination et appréhension. Je me sentais pousser les ailes qui m’amèneraient à côtoyer les hommes, leurs sphères prestigieuses en déblatérant sur le «sujet à la mode», controversé, à la limite du transhumanisme, débridé en essayant d’y apporter un regard critique, sur ces technologies qui nous faisaient miroiter, mondes et merveilles. J’avais d’ailleurs assisté à une pièce de théâtre sur un des textes de Georges Bernanos, La France contre les robots, qui nourrissait avec force cette envie de saisir la complexité du sujet que je déployais sans m’en rendre compte tout en le méprisant avec efficience. J’ai compris que mon corps ne supporterait pas le poids lourd et vain de changer les mentalités si je n’étais pas capable de moi-même de me remettre en question. C’est ce que vous verrez si vous lisez mon deuxième témoignage sur mon inspiration première : mon existence avec moi-même, autrui, et les relations de pouvoir omniprésentes.

Ainsi donc, pleine de verves, un jour, après avoir vu défilé plusieurs événements du Cercle sceptique caennais, je décide de m’y rendre. Prête pour partir, je retourne sur l’événement pour m’y rendre mais surprise, le lieu n’est pas disponible. «Mince, me dis-je, je vais être en retard !» Impatiente de rencontrer et d’écouter les personnes parler d’intelligence artificielle, j’envoie un message à une personne du collectif, une femme semble-t-il, qui me confie l’adresse. J’arrive en retard, dans un lieu privé, je ne suis pas à mon aise car je ne suis pas accompagnée, je ne connais personne, elles et ils semblent passionné-e-s par ce dont elles et ils traitent et malgré mes connaissances, je me rends compte que j’ai encore beaucoup à apprendre. Et c’est tant mieux ! J’ai pris quelques notes car oui, j’ai souvent un carnet sur moi : le sujet traitait du projet AMR présenté il semblerait par Grégory Bonnet. En cherchant sa tête sur le net, ma mémoire n’a pas remis son visage dans la bonne case de mon encéphale. On avait parlé de deep learning, d’autonomie ajustable, de moralité, de manichéisme, du dilemme du tramway, de la théorie des chaînes de Markov, des systèmes de réputation, de la théorie des jeux.

Aujourd’hui, j’en ai un vague souvenir et je vous conseille de prendre des notes de ce genre de choses pour avoir la possibilité de vous y replonger si vous le pensez nécessaire. A la fin, je demandais à deux membres si je pouvais accéder à leur discord et comment : n’étant pas gameuse, je ne connaissais pas du tout, plateforme étrangère à mon environnement numérique. J’ai assisté à quasiment toutes les réunions, passé des heures à faire les statuts de l’association encore à l’idée de projet à l’époque, à m’investir, à être force de proposition : lire sur ces questions m’enthousiasmait, je voulais créer un journal sceptique local, puis une sorte de bookclub sceptique qu’on aurait pu envisager aussi par la suite comme un podcast. Mais les forces effectives ne pouvaient pas tout faire : certains faisaient des formations, des intervenants comme Christophe Michel – alias Hygiène mentale – nous ont fait l’immense plaisir de venir en face à face ou sur discord selon les possibilités sanitaires autorisées. Et un de nos membres les plus engagés a créé finalement un podcast dont le deuxième épisode a été facilité par mon implication dans l’enceinte même du Dôme, un lieu de culture scientifique, souhaitant la démocratiser, la rendre plus accessible et citoyenne et surtout possédant un fablab dans lequel j’ai été service civique. Nous avons également réalisé des ciné-dimanches et réfléchissons séparément à de nouvelles perspectives d’avenir associatif.

Plus singulièrement, c’est à travers le collectif – et il est selon moi important de le souligner – que j’ai découvert la zététique, même si je préfère de loin des termes d’esprit critique ou d’autodéfense intellectuelle. D’autant plus ce dernier avec mes aspirations féministes, car il est révélateur d’un imaginaire d’écriture, celui de Sophie Mazier, rarement citée pour son travail dans les sphères sceptiques, mais aussi parce qu’on évoque souvent les compétences intellectuelles des précurseurs en la matière – perpétuant la vision élitiste de l’exercice de la pensée critique – en omettant de la décrire comme des outils utilisables par toutes et tous, ce qu’ont promulgué plus récemment l’équipe de la tronche en biais. On évoque l’aspect «méthodique» de la démarche sans se rendre compte que cela peut déjà alimenter des inquiétudes ou des méfiances. Qu’est-ce que la méthode ? La méthode, un champ d’expertise long qui s’acquiert avec le temps grâce à des OUTILS de compréhension de nos biais cognitifs en l’occurence.

Je pense qu’en relisant les premiers comptes rendus où j’étais présente, pleinement investie, on doit voir apparaitre – ou plutôt disparaitre – mes envies, mes contributions. Les comptes rendus ces derniers mois sont éclairants de mon désinvestissement dans l’association. Moins de temps car j’ai repris mes études, moins d’énergie à vouloir y consacrer, peu de gratification, manque cruel de reconnaissance voire quasi effacement et agrémenté aussi d’un manque d’écoute, d’empathie et peu de conscience collective dont une grande partie agglutinée autour les actualités sceptiques sur les réseaux sociaux, des «combats de coq» dont je ne me reconnais pas ou d’un bagage de connaissances sceptiques que je venais d’ouvrir comme on ouvre un lien qui renvoie à 10 000 onglets. Je me suis rendue compte qu’on ne pouvait pas – si tenté qu’on le veuille ou qu’on en ait les moyens financiers et culturels – ne pas évoquer l’aspect politique des sujets traités grâce à cette autodéfense. Parce qu’avoir des outils sans jardiner, c’est ce que je ressentais peu à peu à force de voir des contenus qui certes étaient intéressants, mais difficilement applicables. Alors, je me suis, dans la continuité de ces ambivalences mentales, tournée vers mes nouvelles aspirations féministes, parce qu’au-delà des connaissances, d’avoir conscience de nos biais cognitifs – soit dit en passant, constituant un privilège de classe investit en premier lieu par les hommes – j’aspirais à mettre en relation et mélanger ces privilèges de classe et de genre aux discriminations que je voulais voir disparaitre.

Aujourd’hui, bien que je trouve important d’avoir conscience de ces biais, de faire un travail régulier sur soi, sur le fait de repérer des sources, d’avoir une approche épistémologique, sur les enjeux notamment environnementaux, les sujets portés par la zététique, à mes yeux, sont vides de sens pratiques bien que captivent pour apprendre à les utiliser : l’astrologie, l’anthroposophie, l’homéopathie, le nucléaire, les sectes ou les religions. La zététique permet-elle de comprendre d’où viennent les biais cognitifs ? pas vraiment, elle agit comme une auto-réflexivité. Permet-elle de mettre fin à certaines croyances ? Je le pense si on s’y investit de tout son être et qu’on a déjà quelques graines de doute en nous. Mais je le répète, elle n’est qu’un outil et non un fin en soi dans ma conception.

Mon investissement ne s’arrêtait pas là, le doute qui a toujours partagé une partie de mon existence ne s’est accentué : «comment faire collectif ?», «comment faire venir des gens ?», «comment leur faire comprendre que la pensée critique est pertinente et à déployer à l’ensemble des personnes pour qu’elles soient mieux armées dans la vie ?», «comment penser les enjeux d’éducation, de genre, de race, d’handicap afin de popularisé une mine d’or de développement de soi, développement de connaissances que j’avais découvert, qui constitue, on nous le rabâche en sciences sociales, un capital culturel qui nous fait en quelque sorte, nous distinguer ?» Et puis, à force de trop douter, je crois qu’avec un cumul de savoir en étude du genre, j’ai dévoyé mes aspirations sceptiques en aspirations féministes parce que, comme beaucoup de femmes s’intéressant un peu au milieu – le groupe zététique, scepticisme et féminisme en atteste par sa création même – j’ai subi des injonctions, j’ai regardé le sexisme de front, j’ai tenté d’adapter ma posture afin d’être plus légitimée, j’ai fait un pas de côté sur l’essentialisme de certains groupes ou personnalité. Dans de nombreuses circonstances, un sentiment d’impuissance m’a traversé : quoi que je dise, quoi que je fasse, toujours plus de nuances à l’égard de mes propos, plus d’exigences martelées qui ont muselée ma pensée et ont eu raison de renforcer ce que je savais déjà : je subis les préjugés sexistes, je subis des individus modelés par un système patriarcal, et je suis la seule qui semble être en mesure de le voir clairement.

Je voyais l’humour sexiste, et plus j’essayais de montrer ce que j’observais, plus je me sentais démunie et isolée dans ces milieux. Avec le temps, j’ai compris qu’où que j’aille, ma place n’était inscrite nulle part, qu’il fallait «me battre» alors que j’attendais des soutiens bienveillants, mon espace d’expression se réduisait jusqu’à l’asphyxie. Ma respiration réside aujourd’hui dans l’histoire des femmes, leur vécu individuel faisant collectif qui met en lumière jour après jour, bien plus que ce que ne m’apporte la zététique comme outil des privilégiés qui n’ont pas à penser les oppressions qui les abreuvent.

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