Le féminisme de Mélanie

C´est quoi le féminisme pour moi ?

C’est moi. Je ne sais pas ce que c’est. J’ai le sentiment que je ne peux pas ne pas être féministe du simple fait d’être née assignée femme à la naissance et me reconnaissant comme telle.

Comment définir le féminisme ? Pour moi, c’est d’abord sentir tout ce que je transporte malgré moi dans ma condition de femme, notamment : les oppressions, les agressions sexuelles, le paternalisme, le poids des injonctions faites sur mon corps, mes émotions qui prennent trop de place, mon hyper sexualisation par la société, le lissage de ma personnalité, ne pas parler trop fort, ne pas être trop virulente, pas de violence, de la douceur, de la mesure. C’est tout cela que je porte en moi et c’est avec et par la lutte féministe que j’espère faire tomber tout ça. Ce « ça » c’est le système de domination patriarcal, dont le capitalisme est le meilleur allié.

Voilà, pour moi il n’y a pas de féminisme possible sans destruction du capitalisme et du néo colonialisme, c’est impossible, ces systèmes se nourrissent et se donnent la main en permanence. Mon féminisme est éminemment politique. Car, si le féminisme se définit comme l’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les sphères de la société ; privée et publique ; alors, je refuse que l’on calque cette égalité sur le modèle sociétal proposé actuellement ; il ne m’intéresse pas.

Depuis quand ou depuis quoi pour moi le féminisme ?

Je dirais qu’il n’y a pas un événement mais des micro-évènements, qui construisent très tôt chez moi un sentiment croissant d’injustice du fait de ma naissance en tant que fille, future femme.

J’ai un souvenir confus dès le primaire, où l’on nous a enseigné que le masculin l’emporte sur le féminin et cette sensation que j’ai à l’intérieur qui résiste. Ça ne faisait pas sens à l’enfant que j’étais, sur une foule de 500 personnes, femmes et 1 seul homme, alors c’est « ils » ? Mais pourquoi ?? Alors certes, ça peut paraitre anecdotique, néanmoins cela m’a marquée.

Puis viennent les premières agressions sexuelles, fin du primaire, Coline*, déjà pubère, coincée dans un coin d’une cage d’escalier à l’école et touchée de partout seins, fesses par un groupe de garçons, dans la cours de récréation, et moi, témoin, silencieuse et mal à l´aise…
Il y a aussi les baisers volés pendant les trap-trap bisous, contraintes et forcées, nous sommes toutes logées à la même enseigne, mais on rit, c’est normal, les garçons c’est comme ça me dit-on, ils sont un peu bêtes, ils jouent. Grandit en moi un sentiment étrange : était-ce normal, vraiment ?
Je parle des garçons, mais les hommes adultes ne sont pas en reste, toujours à commenter mon physique, moi si mignonne, toujours sur leurs genoux et leurs mains qui me touchent, mon corps n’est qu´un objet, il ne sert que les intérêts de ces garçons, de ces hommes.

Puis vient le collège, tout s’accélère, les agressions sexuelles continuent, les mains aux fesses, la peur de passer dans certains couloirs à certaines heures et d’y croiser mon agresseur. Et puis un sentiment croissant d’injustice, de double standard, les mecs ne parlent QUE de se masturber, non-stop, et plus ils en parlent plus ils sont respectés par leurs pairs. Nous, les filles on ne parle pas de notre sexualité, elle n’existe pas, sauf si elle se fait avec un autre mec… On se moque de celles qui se doigtent et on encense ceux qui se branlent, de ces expériences naissent la honte de soi, de ses envies, de son corps. Et puis le slut shaming commence : à l’époque on n’a pas de noms pour le qualifier, mais les réputations commencent dès la 6e. Celle qui a osé mettre un string, celle qui ne porte pas de soutif, celle qui n’est pas encore réglée… On se réunit entre filles, on déteste les mecs mais en même temps on ne parle que d´eux : qui sort avec qui, qui fait quoi …et les profs, les gros dégueu pervers, qui mettent au premier rang les filles avec les gros seins, qui nous font venir au tableau pour nous mater les fesses, les classements de filles par les mecs en 4e : la plus belle, les plus gros seins, la plus moche, moi jetais le plus beau cul, je ne pouvais plus circuler dans le collège sans être touchée aux fesses ou sans que celles-ci ne soient commentées… je ne suis qu’un corps donc et ce corps ne m’appartient déjà plus entièrement. La gente masculine en dispose à sa guise et personne ne remet cela en question, c’est le statu quo. Mais chez moi, je pouvais encore tout mettre de côté et rire avec ma meilleure amie, pas internet encore vraiment et une certaine tranquillité, les agressions s’arrêtent à la porte de chez moi. J’ai hâte que tout finisse, je me dis que le lycée sera différent ; au collège je ne sens aucune vraie solidarité entre nous toutes… la compétition bat son plein et moi, je rêve que tout change du haut de mes 15 ans …


Le lycée, l’internat de filles, je respire car je n’ai jamais ressenti la peur d’être agressée sexuellement en vivant avec 60 autres filles. Quand j’y pense là, en l’écrivant, c’est assez évocateur je trouve, dans cet internant 100% filles je me sens en sécurité ; d’ailleurs les seuls moments où l’on ne se sentira pas en sécurité seront quand le CPE homme passait le soir dans les couloirs alors que nous étions en tenues de nuits, ou sortant de la douche.

Dans ma classe, peu de mecs : je me sens mieux, je respire, je ne suis plus cet objet, ce corps sexualisé en permanence.

A la fin de mon année de seconde, je rencontre celui qui deviendra mon mari et le père de nos 3 enfants.

Puis vient la fac et le militantisme communiste… j’ai milité un peu beaucoup, passionnément, à la folie puis plus du tout. J’échange avec des militantes féministes à l’époque, l’une d’entre elles se laissait pousser les poils aux jambes : je trouvais ça waouh, je buvais ces paroles. C’était en 2005-2006, elle parlait de se réunir en non mixité je ne comprenais pas trop, je n’avais pas cette conscience féministe, je luttais surtout sous l’angle lutte des classes, anti bourgeois, anti-capitaliste. J’ai commencé à fréquenter les anarchistes, mais mes idées n’étaient pas en accord avec les leurs… dans ces périodes, ma condition de femme m’a rattrapée, j’étais l’élément perturbateur qui faisait rompre les couples, la tentatrice. J’ai eu pas mal de problèmes dans le milieu, j’ai fini par lâcher l’affaire, fatiguée… ensuite j’ai arrêté de penser politique.

Pendant quelques temps au moins, puis j’ai eu mon premier enfant, violences gynécologiques en pagaille, rupture avec la façon dont moi j’avais été élevée, découverte de l’allaitement et réappropriation de mon corps.

Je me suis sentie puissante avec l’allaitement. Ces seins, mes seins, depuis toujours moqués par les garçons, trop petits, qui m’ont conduite droit vers les complexes, ces seins donc, m’ont permis d’accomplir quelque chose de puissant et magnifique : ils ont nourri mon bébé, l’ont fait grandir.
Pour m’aider dans la conduite de ce premier allaitement, j’ai pu compter sur l’appui d’un groupe de femmes merveilleux. Via la Leche League, j’ai découvert la sororité : c’est ici que je me suis le plus sentie reliée entre femmes. Ces réunions c’était ma bouffée d’oxygène dans ma maternité qui me laissait seule la majeure partie du temps. J’y trouvais soutien, non jugement, échanges riches de nos partages intimes, chacune avec sa trajectoire, son projet, son individualité. On finissait toujours par évoquer notre rapport à notre condition de femme, nos règles, la contraception, le poids de la charge mentale, les burn out maternels, la non-considération de notre statut de femme au foyer, la place du père, la place des hommes.

Forte de cette expérience positive de ces réunions mensuelles durant 8 ans, j’ai décidé de rejoindre des groupes féministes en ligne. En effet, je me posais de plus en plus la question de comment éduquer mon fils en regard de mon expérience de femme dans cette société sexiste, qui fait la part belle à la culture du viol.

Ces groupes ont été une sacrée déception et je pèse mes mots. Je m’y suis sentie jugée comme jamais et niée dans ce qui, pour moi, faisait que j’étais fière d’être femme (grossesse, allaitement, puissance et maternage) tout cela était perçu dans ce groupe comme aliénant. J’ai eu la sensation que pour être une bonne féministe il fallait en fait être comme un homme les couilles en moins. J’ai aussi été particulièrement interloquée par la vision adultiste du soin porté aux enfants. Dans ce groupe, le prendre soin de soi en priorité menait invariablement à une justification de son égocentrisme au détriment du soin porté aux enfants. Sans nier qu’il est profondément injuste que la charge du foyer et de l’éducation des enfants ne porte quasi exclusivement que sur les femmes et le tout gratuitement, je ne comprends pas pourquoi, pour s’en extraire alors, il faudrait simplement faire passer les enfants au second plan.

Plus tard, j’ai essayé d’emprunter un chemin plus spirituel avec le féminin sacré and Co, j’aimais bien les cercles de femmes, se retrouver à la lueur des bougies pour parler de nos utérus, nos règles, nos mères, nos prises de conscience, ça me faisait du bien. Malgré cela, il manquait à ces rencontres et ces échanges une dimension politique, et j’y ai perçu un essentialisme qui ne disait pas son nom. Finalement, il n’y avait pas dans ces espaces une sororité telle que j’avais pu la vivre via la Leche League.

Je me vis comme étant féministe et je réfléchis sur les tenants et les aboutissants du système patriarcal, sur les impacts de ce système sur la place du groupe femme dans la société et celle du groupe hommes, mais je n’ai pas trouvé beaucoup d’espace où les questions autour de la maternité, de l’accouchement, du travail domestique et de l’allaitement étaient traitées d’une manière qui me convenait.

Ce que j’aime, ce que je n’aime pas, à quoi ça me sert, les limites ?

Ce que je n’aime pas dans la vision actuelle que j’ai du féminisme, notamment par le prisme des réseaux sociaux, c’est le poids de la starification de quelques figures de proues, ou se définissant comme telles, au détriment du collectif. Je crois qu’à force de vivre en permanence dans une société de la compétition et de l’individualisme exacerbé, on a perdu prise avec le collectif et il est difficile de penser à un projet commun de société émancipée du capitalisme et de son ami de toujours le patriarcat. Il n’est pas aisé de trouver de véritables espaces de sororité, j’ai pu expérimenter qu’en tant que femme on n’en fait jamais assez et on finit par être jugée par les hommes certes, mais aussi surtout beaucoup par les autres femmes.
Derrière les discours vibrants sur la sororité, sur le fait de tendre la main aux autres femmes pour se soutenir s’aider et s’élever, se dessinent parfois dans le privé et l’intime des attitudes bien éloignées : ce qu’on dit versus ce qu’on fait…

J’ai ainsi vécu mes plus grandes déceptions amicales uniquement dans mes relations aux femmes, quand je dis déception je parle de trahison et jugements. La société nous ayant appris dès notre plus tendre enfance à ne rien attendre des hommes, on place dans les femmes des attentes irréalistes en oubliant parfois, souvent, que toutes et malgré un certain niveau de conscience, nous faisons partie de ce système et de ces mécanismes de domination et qu’il est très difficile de s’en extraire malgré toutes nos bonnes intentions.


Le féminisme me sert à penser mes propres traumas et mes limitations, à les inscrire dans un NOUS, et pas seulement un JE, il me sert à me sentir reliée et forte, et surtout moins seule. Parfois ça nourrit trop fort ma colère et ça m’empêche de bouger, ça m’étouffe, et ça m’effraie. Parfois aussi cela m’emmène dans une haine des hommes en tant que groupe, et ce n’est pas un sentiment qu’il me plait de cultiver, déjà parce que je suis la maman de deux enfants assignés garçons à la naissance, et ensuite parce que cultiver la haine ça me fatigue et j’ai déjà peu d’énergie disponible.


Je perçois le féminisme comme un soutien et un appui dans les valeurs que je souhaite transmettre aussi bien à ma fille qu’à mes garçons. J’estime que c’est important voire vital d’éduquer mes enfants dans le féminisme. J’y inclue dedans des notions telles que le consentement, le respect de l’autre et de son intégrité physique. Je prends la mesure de tout ce qu’il reste à déconstruire encore et reconstruire pour une société plus inclusive et équitable, je pense que l’on a besoin du féminisme encore aujourd’hui et je crois pour longtemps encore.

Mélanie Duez

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